4 avril 2018

Valerio Varesi, "Les ombres de Montelupo" : le commissaire mis à nu

Revoici Valerio Varesi et la troisième enquête du commissaire Soneri, que de nombreux lecteurs attendent de pied ferme. Quand le commissaire Soneri a besoin de prendre de la distance, de s'éloigner de Parme et des affaires courantes, où croyez-vous qu'il se réfugie ? Au bord de la mer, entre Riviera et Toscane, Rapallo, La Spezia, Forte dei Marmi ? Écouter les vagues, savourer la douceur de vivre. Si vous connaissez déjà Soneri, vous savez bien que non. Quand commence Les ombres de Montelupo, Soneri vient d'arriver dans le village de son enfance, niché entre montagne et forêt, dans une vallée des Apennins, au nord de l'Italie. Il est venu seul : Angela est noyée sous le travail et n'a pas pu l'accompagner. 

C'est la Saint-Martin, début novembre, et Soneri est venu cueillir des champignons. C'est du moins ce qu'il prétend. Là haut, dans le Piémont de son enfance, il fait déjà bien froid, la brume est omniprésente, enveloppe les arbres,  nappe les sentiers de montagne.  Soneri n'est pas plutôt installé à l'auberge du village que tombe la mauvaise nouvelle : pour les champignons, c'est mal parti : "L'été a été trop sec,  ils se sont calcinés tout juste sortis de terre." Soneri est agacé, n'est-ce pas pour ça qu'il est venu? Les champignons. On n'en trouve qu'ici, non loin de Montelupo, tout le monde sait cela. Aucune autre raison de revenir là où il a vécu son enfance, absolument aucune. 
Soneri nous prend un peu pour des imbéciles, au début du roman. Le pire, c'est qu'il a l'air de se prendre à son propre jeu. Qu'on se rassure, ça ne va pas durer. Au village, il règne une drôle d'ambiance. L'industriel du coin, Paride Rodolfi, enfant du pays qui a réussi dans la charcuterie, est introuvable... Et les langues vont bon train. A tel point que quelqu'un se croit obligé de placarder dans tout le village des avis qui proclament que Rodolfi est en excellente santé... Ce qui ne fait, bien sûr, qu'accélérer les rumeurs. Il faut dire que Rodolfi est une "huile"dans la région : il nourrit tout le monde, au propre comme au figuré. L'inquiétude est grande. Soneri est policier, et bientôt tous ses anciens amis se tournent vers lui : il faut intervenir, d'autant que depuis quelques semaines, on entend régulièrement des coups de feu dans la montagne environnante. Braconniers, clandestins, trafiquants? Mystère. Soneri résiste. Il n'est pas là pour enquêter.

Mais la situation se complique : un suicide présumé, un meurtre. Soneri est chez lui, après tout, il serait légitime qu'il s'intéresse à la question. Sauf qu'il ne se sent pas vraiment chez lui, et c'est bien là le problème. Depuis qu'il est arrivé, il ressent un profond malaise, la sensation d'être un étranger dans son propre village. Les hommes sont toujours là, ceux qu'il a toujours connus. Mais les connaît-il encore ? Y a-t-il plus grande solitude que celle qu'on éprouve auprès de ceux avec qui on a grandi ? Ont-ils changé à ce point ? Ou bien est-ce Soneri qui n'est plus le même homme?


 Alors, petit à petit, le naturel reprend le dessus. Soneri enquête, parce que c'est ce qu'il sait faire. Et comme c'est un bon enquêteur, il va soulever des coins de tapis que certains auraient préféré laisser en place. La société de Rodolfi, bienfaitrice du village, est-elle vraiment ce qu'elle paraît être ? Soneri est fidèle à lui-même : ombrageux, mélancolique mais gourmand. Et là, il est plutôt bien tombé : les lecteurs qui le connaissent retrouveront avec délectation les moments décisifs qui rythment sa journée: les repas, les pique-nique dans la montagne, la dégustation d'un bon vin suivie de celle d'un bon cigare. Le sel de la vie. Et dans ce roman-là, ces moments de réconfort sont plus que jamais salutaires. Car dans Les ombres de Montelupo, Soneri est surtout confronté aux ombres de son passé et de celui de son père. Tout au long de son enquête, il accumule des indices qui instilleront en lui un terrible soupçon sur son histoire familiale. Au fur et à mesure qu'il progresse, qu'il dévoile des vérités de plus en plus troublantes, le soupçon se mue en une véritable obsession. Valerio Varesi a créé tout exprès pour Soneri un protagoniste de choix : le vieux Gualerzi, dit le Maquisard. Un ancien du village, ami de jeunesse de Rodolfi, qui, contrairement à ce dernier, n'a jamais cédé aux sirènes de la réussite sociale. Un géant  qui arpente la montagne, arme à la main, et terrorise les carabinieri venus l'encercler. Un homme qui connaît le terrain comme sa poche, et qui mène la vie dure à ceux qui veulent l'enfermer. Un homme qui en sait beaucoup trop et qui n'a plus rien à perdre... Un coupable idéal.

Les ombres de Montelupo, en mettant à nu un Soneri qu'on a l'habitude de suivre dans les rues de la ville, parvient, sans qu'on vienne à bout du mystère Soneri, à en dévoiler assez sur sa personnalité complexe pour que cette énigme-là prenne finalement le pas sur celle de l'intrigue policière, pourtant particulièrement bien construite. Soneri chez lui, sur les lieux de son enfance, avec ceux qu'il a connus, est pris à son propre piège : pour lui, le retour au bercail n'existe pas. Dans Les ombres de Montelupo, pas de retour aux sources miraculeux. Les ombres d'autrefois n'ont rien de tutélaire, les souvenirs sont des traîtres. La vie ne s'est pas arrêtée : Soneri n'est plus l'enfant qu'il était. Ceux de Montelupo ne sont plus ce qu'ils étaient. Le paysage et la nature même sont infidèles: les champignons ne sont pas au rendez-vous. Le style de Varesi s'affirme ici dans un registre plus sombre encore, prend une dimension poétique, voire onirique lorsqu'il évoque l'enfance, le père et la nature. Les vacances du commissaire Soneri se transforment en une introspection radicale, douloureuse, déchirante. Se dépouiller de son enfance... 

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Valerio Varesi, Les ombres de Montelupo, traduit par Sarah Amrani, Agullo éditions

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